Maisons de thé
Le café traditionnel iranien
Shadi Oliaei
Pendant des siècles, les Iraniens ont bu du café et ne connaissaient pas le thé. C’est pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, les salons de thé ont conservé le nom de qahveh-khâneh, c’est à dire « maison de café ». Avec la domination des Ottomans sur les territoires de l’ouest et les tensions qu’elle occasionna au niveau des approvisionnements, il y eut une pénurie de café en Iran. A cette même époque, l’Iran et l’Inde entretenaient de bonnes relations commerciales et les marchands des deux pays commencèrent à effectuer des échanges croissants. Ainsi, pour la première fois, le pays procéda à de vastes importations de produits indiens auparavant méconnus des Iraniens, y compris le thé.
Au début du XIXe siècle, un marchand iranien du nom de Mohamad Gilâni a amené la première boite de thé dans le bazar de Tabriz [1]. Peu à peu, au vu de la croissance de la consommation de ce produit dans le pays, un nombre croissant de marchands en ont importé en Iran.
Sous le règne de Nâsser al-Din Shâh (1831-1896), il y eut une forte croissance du volume des importations de thé notamment due à l’ouverture des marchés iraniens aux produits étrangers. Au cours du XIXe siècle, la culture des théiers dans les provinces septentrionales de l’Iran (surtout dans le Gilân [2]) a transformé rapidement le goût des gens. Dans les maisons de café, le thé a remplacé le café ; mais la maison de café a gardé son nom quoique les clients s’y rendaient désormais pour boire du thé ; aujourd’hui, c’est l’appellation de qahveh-khâneh sonnati (maison de café traditionnelle) qui est ainsi employée. Par commodité nous utiliserons le terme de « café traditionnel » ou même « café » pour désigner ces établissements.
Ces maisons de café sont très tôt devenues attrayantes pour la clientèle et des lieux incontournables de manifestations culturelles et artistiques populaires. On y assistait à des lectures de poèmes ou de contes, des pièces de théâtres plus ou moins improvisées, farces, théâtre d’ombre et de marionnettes ou des démonstrations amusantes avec des animaux, mais très peu de maisons de café ont perpétué l’ensemble de cette tradition.
L’espace de déroulement du récit dans la maison de café est significatif d’une théâtralité particulière dans laquelle la présence des spectateurs détermine la mise en mouvement de la fonction représentative. Ainsi, c’est l’espace délimité par le public qui représente la limite de l’environnement narratif à l’intérieur duquel la parole et les objets prennent une signification interprétable uniquement selon le point de vue du récit. C’est donc l’utilisation par figuration de cet espace qui déclenche la transformation de la salle du café en espace narratif. Les spectateurs se situent à la limite de ce cadre puisqu’ils sont la raison d’être de sa mise en place sans laquelle le processus de représentation serait impossible.
Evolution des maisons de café depuis le XVIe siècle
La date de la fondation de la première maison de café ne nous est pas clairement connue. Les cafés traditionnels sous la forme actuelle sont issus de la tradition des maisons de café qui remonte à l’époque de la dynastie safavide. Les premiers cafés seraient probablement apparus à Qazvin [3]. sous le règne de Shâh Tahmâsp Ier (1524-1576), puis à Ispahan [4] sous Shâh ’Abbâs Ier (1571-1629). Les maisons de café ont connu une expansion toute particulière à l’époque de Shâh ’Abbâs pour devenir des lieux de rencontre prestigieux, de sorte que les princes et les gens de la cour recevaient parfois les ambassadeurs et les envoyés des pays étrangers dans les cafés d’Ispahan.
Il est possible que les premiers cafés aient été créés dans le but de divertir en particulier une catégorie privilégiée, mais d’après certains documents, les cafés étaient non seulement l’endroit où se retrouvaient l’aristocratie et les artistes mais aussi celui où les gens du peuple se rendaient pour écouter les conteurs et les poètes, ainsi que pour regarder les tableaux, se distraire avec des jeux et d’autres divertissements. Le café, à l’époque safavide, jouait plus ou moins le rôle d’une maison de la culture. Les conteurs, les poètes, les peintres et les calligraphes s’y rassemblaient. La musique et la danse y étaient aussi courantes : "A l’époque de Shâh ’Abbâs, dans la plupart des grandes villes d’Iran, surtout à Qazvin et à Ispahan, on avait créé de multiples maisons de café. A Ispahan, les cafés célèbres étaient situés aux alentours de la place Naqsh-e Jahân, Tchâhârbâgh et du bazar de Qeysarieh. Les différentes classes du peuple comme les riches, les courtisans, les chefs de Qezelbâsh, les poètes, les écrivains, les peintres et les commerçants y allaient pour passer le temps, voir leurs amis ainsi que pour se distraire avec différents jeux ou les dialogues des poètes, pour écouter les poésies du Shâhnâmeh, les contes et les narrations ou bien pour regarder les différentes danses, jeux ou autres divertissements." [5]
Même si en dehors des cafés, des représentations théâtrales ou des contes avaient lieu dans des maisons privées, à l’occasion de fêtes familiales ou simplement dans la rue, le peu de lieux publics de distraction a fait des cafés des endroits privilégiés où les gens pouvaient satisfaire leur envie de spectacle. Ainsi, les clients assidus avaient l’opportunité d’écouter régulièrement des récits. L’intérêt et l’affluence des amateurs de spectacles permettaient aux conteurs itinérants de gagner facilement de l’argent en racontant des récits. Les cafés, dans lesquels il y avait un conteur attitré, attiraient beaucoup de public et cela a contribué à enraciner ce style de divertissement dans les habitudes culturelles iraniennes.
Ces maisons de café étaient également des endroits où les gens de toutes les catégories sociales pouvaient se rassembler, passer leur temps libre et discuter, après leur journée de labeur en buvant du thé et en profitant des spectacles. Elles constituaient ainsi un centre de vie sociale pour les gens qui s’y trouvaient. Certains commerçants venaient pour présenter, vendre leurs marchandises ou négocier des affaires et les banquettes faisaient office de bureau pour compter leurs gains et leurs dépenses : "La maison de café était un lieu dans lequel on pouvait rencontrer toute sorte d’individus, même les survivants de l’aristocratie y allaient pour changer d’air. Au coucher du soleil, après avoir terminé leur travail, les marchands, les artisans, les artistes peintres, les plâtriers, les maçons, les maîtres maçons etc. se précipitaient vers les cafés de leur quartier pour passer une bonne partie de leur temps dans le but de se détendre et d’écouter les paroles d’un conteur." [6]
A l’époque de Shâh ’Abbâs Ier, les cafés ont atteint leur apogée. Le règne de Shâh ’Abbâs dura quarante ans. Pendant cette période, on a favorisé le divertissement populaire et le peuple en a profité pour se réunir dans les lieux de distraction comme le café traditionnel, surtout les habitants de la capitale Ispahan. Les gens qui voulaient oublier la fatigue journalière avaient l’habitude de s’y réfugier pour se régaler des paroles des conteurs ou des gens de bon goût.
Shâh ’Abbâs Ier se rendait occasionnellement dans les cafés et y prenait un verre, parlait aux gens et écoutait les conteurs. Il y emmenait également des invités étrangers pour les divertir. Un ambassadeur espagnol en Iran a écrit, de façon quelque peu sarcastique, que le roi d’Iran divertissait gentiment des ambassadeurs dans un endroit si respectable. [7]
Les plus célèbres maisons de café à l’époque de Shâh ’Abbâs Ier sont ’Arab, Bâbâ Farâsh, Hâji Yusof, Bâbâ Shams et Tufân.
Le café de Bâbâ Shams a été construit sur l’ordre du roi à Tchâhârbâq à Ispahan. Au début, Bâbâ Shams a commencé sa carrière en provoquant des rassemblements sur les places publiques, il faisait des spectacles à Shiraz, il jouait de la musique et chantait. Comme il maîtrisait bien son spectacle en compagnie d’un jeune Georgien qui travaillait avec lui, il attira l’attention du roi. Shâh ’Abbâs Ier lui demanda que son élève (qui fut tué après 2 mois sur l’ordre du roi) [8] vienne au palais et en plus il fit construire un café pour Bâbâ Shams. De temps en temps, le roi allait à ce café, et buvait du vin. Il y regardait des spectacles de naqqâli les conteurs les plus connus à cette période, comme Abdol-Razzâq Qazvini et Mollah Bikhod Gonâbadi. Il leur donnait un salaire régulier. [9] A l’époque de Shâh ’Abbâs Ier, boire du vin était parfois interdit et parfois autorisé. Mais dans ce café, il était toujours permis de boire et de servir du vin. Les clients qui buvaient du vin dans cet établissement se faisaient tamponner sur la main pour être remarqués dans les autres cafés en cas de contrôle des gardiens de la ville. [10]
Le café de Tufân était célèbre et c’était un endroit où se rassemblaient surtout des poètes. Deux des plus célèbres poètes qui fréquentaient ce café étaient Rashidây-e Zargar-e Tabrizi et Mozaffar Kâshâni-e Lang.
Au début du XVIIe siècle, les cafés furent véritablement institués comme centres de distraction à la fois pour la noblesse et les roturiers. [11] En décrivant les principales places d’Ispahan en 1631-1632, Adam Olearius rend compte des différents endroits et sortes de distractions auxquelles pouvaient accéder les habitants de la capitale. A côté du bazar, des débits de boissons proposaient des boissons alcoolisées et faisaient venir des danseurs. On trouvait également des établissements où les hommes pouvaient jouer aux échecs, boire du café et fumer du tabac.
“La maison de café est une auberge où on trouve des fumeurs de tabac et des buveurs de café. On y trouve aussi des poètes et des historiens que j’ai vus raconter toutes sortes de légendes, de fables et de choses fantastiques assis sur de hauts tabourets. Lorsqu’ils content ils gesticulent avec une baguette comme des illusionnistes.” [12]
De plus, Olearius souligne la proximité de ces centres de divertissement avec le bazar et la zone commerciale de la ville, comme c’est le cas aujourd’hui. Même le roi y venait avec ses invités et courtisans, et il semble que ces endroits étaient parfaitement respectables pour s’y reposer et se divertir.
Par ailleurs, Olearius nous informe sur un conteur qui avait l’habitude de se produire au café et qui était au service du gouverneur provincial. “Alors qu’il était invité avec son groupe près d’Ardabil [13] à offrir ses vœux au début du banquet du nouvel an à un khân local et à d’autres notables, il remarqua que parmi eux, à la table, se trouvait le conteur au service du khân.” [14] Outre son rôle de lieu de distraction, le café était aussi un lieu de réunion et de rencontre important pour le peuple iranien. C’était entre autres un endroit pour trouver un emploi, pour résoudre les problèmes quotidiens ou surmonter les difficultés passagères, comme les procès entre voisins, les conflits avec des collègues, etc. Avec la Mosquée, c’était le seul endroit de réunion véritablement autorisé pour toutes sortes de gens. Sa spécificité consistait en un mélange de toutes les classes sociales.
Les maisons de café étaient parfois appropriées par une corporation précise. A l’époque qâdjâre, quand Téhéran n’était pas aussi grand qu’aujourd’hui, il existait une cinquantaine [15] de cafés. Il y avait un grand café dans la rue de Tcherâq-barq, le célèbre café de Hâjj ’Ali Aghâ qui était un endroit de rassemblement pour les artisans menuisiers. Les architectes, maçons et les ouvriers se rassemblaient au café de Qanbar au bout de la rue de Nâser-Khosrow près de Sabze-meidân. Les autres corporations comme celles des boulangers, bouchers, maroquiniers… avaient chacune un ou plusieurs cafés habituels pour se réunir. De même, les habitants de Téhéran qui venaient d’autres villes se rassemblaient dans un même café. Par exemple, les gens qui venaient d’Arâk se retrouvaient au café Panjebâshi dans la rue de Nâser-Khosrow près de Shamsol’emâreh et chaque nouvel arrivant qui venait à Téhéran pouvait retrouver ses amis dans ce café et éventuellement apporter un message ou quelque chose pour quelqu’un de sa ville.
La mixité sociale dans le café a toujours beaucoup influencé les conteurs. Ce furent la diversité et la présence continue de spectateurs qui les amenèrent à se sédentariser. Elles leur ouvraient de nouvelles voies et leur offraient de nouvelles possibilités pour mettre au point et arranger leurs histoires, afin que celles-ci soient aussi jugées par le peuple.
A l’époque safavide, le café était perçu également comme le lieu de rencontre de tous les talents et de tous les arts. Les poètes, les chanteurs, les conteurs, les peintres et tous les autres artistes venaient y démontrer leurs talents : "La maison de café à l’époque safavide était le repaire des hommes de lettres, des savants, des philosophes, des poètes et des musiciens. […] Shâh ’Abbâs y allait de temps en temps." [16] Les poètes s’y réunissaient pour lire leurs poèmes, écouter ceux des autres et y proférer leurs critiques. Ils s’y enrichissaient à la source des conteurs, ce qui créait entre eux des liens durables. La plupart des naqqâl composaient de la poésie et les poètes trouvaient de nouvelles formes artistiques grâce aux paroles des conteurs et aux différentes sciences.
Parmi les artistes qui fréquentaient les cafés, il y avait parfois des peintres qui se mettaient dans un coin de la salle et dessinaient, tout en écoutant le conteur. Plus tard, les toiles étaient exposées dans les cafés mais aussi dans les lieux ayant une activité en lien avec la scène représentée, où elles étaient parfois vendues.
L’influence réciproque entre les différents artistes a été particulièrement sensible dans le domaine de la peinture et du théâtre. Elle a engendré une nouvelle méthode de peinture possédant de nombreuses valeurs artistiques caractéristiques.
Ce nouveau style de peinture inspiré par les contes a été nommé naqqâshi qahveh-khâneh’i (peinture des maisons de café) car c’est dans ce cadre qu’elle a trouvé son origine et son emplacement privilégié. La peinture des maisons de café désigne une forme artistique simple et populaire de peinture à l’huile évoquant généralement des sujets religieux, des scènes héroïques et quelque fois des festivités, pour retranscrire de façon imagée les scènes décrites par les conteurs. Les éléments narratifs tels que l’importance des personnages et la chronologie des évènements étaient condensés en une seule toile par l’emploi des techniques figuratives destinées à traduire les aspects essentiels des histoires.
Les Safavides ont favorisé le développement des arts et de la culture en Iran. Les cafés étaient construits selon une architecture qui n’a quasiment pas évolué de l’époque safavide à l’époque qâdjâre. Malgré cela, comme beaucoup de grands monuments qui datent de cette époque, les maisons de café se sont développées et beaucoup enrichies.
Sous le règne de Nâsser al-Din Shâh, le café devint très populaire. Dans la plupart des villes iraniennes, chaque quartier comptait au moins un café. Pendant cette même période, marquée par de nouvelles évolutions politiques et socioculturelles, le café s’est doté pour la première fois d’une fonction sociale importante : il est devenu un lieu d’échange intellectuel et politique. C’est pour cette raison que sous le règne nassérien, plusieurs cafés de la capitale ont été fermés, ayant été jugés dangereux pour l’ordre public.
Les maisons de café se sont agrandies, leur taille étant liée à la situation financière du propriétaire. Ils étaient souvent construits à proximité les uns des autres et formaient un ensemble. Au centre du café, il y avait généralement un bassin rempli d’eau pour agrémenter l’ensemble : "Les maisons de café étaient très vastes avec des murs propres et blancs, on y avait accès des quatre côtés. On a construit la plupart des cafés, de la même forme et de la même grandeur, l’un à côté de l’autre, de telle façon à ce qu’il n’y ait aucun mur ou rideau entre eux et de l’intérieur de l’un on pouvait voir l’intérieur de l’autre. De cette manière, l’on pouvait croire qu’ils faisaient un ensemble. Autour des cafés, on construisait des estrades et des terrasses (pourvues d’arcs décoratifs) couvertes de tapis, où les clients et les spectateurs s’installaient. Le soir on allumait les nombreux lustres qui étaient suspendus au plafond. Au milieu de la salle principale du café, il y avait un bassin rempli d’eau pure et claire." [17]
La principale décoration du café traditionnel était constituée par quelques rangs de céramique étroite colorée et quelques tableaux de scènes de guerre ou de chasse du Shâhnâmeh accrochés au mur. Des narguilés étaient disposés partout dans le café et de nombreuses lanternes étaient accrochées pour enrichir le décor. Plus tard, lors de l’apparition de l’électricité, des lustres ont remplacé les lanternes et ont amélioré l’éclairage. Les banquettes étaient disposées pour le confort des clients ainsi que des bancs pour les spectateurs du naqqâl qui pouvaient consommer du thé ou du café tout en assistant aux représentations.
L’espace de la représentation était composé d’une estrade construite à cet effet. Le naqqâl commençait habituellement son récit sur cette estrade. Cette scène était généralement située soit à l’endroit le plus haut soit au centre pour que les spectateurs se placent tout autour du conteur ou encore au fond du café pour que les spectateurs s’asseyent sur deux ou trois de ses côtés.
Dans le café, les places étaient réparties selon les individus. Les clients du café étaient principalement des hommes. Théoriquement, les femmes auraient pu y entrer mais cela ne faisait pas partie des traditions de l’époque.
Situation et conditions des conteurs dans les maisons de café à l’époque qâdjâre
Les conteurs pouvaient narrer des histoires assez longues, ce qui les obligea à créer de nouvelles formes de représentation pour augmenter le nombre de leurs spectateurs. Le naqqâl était au centre des relations économiques unissant les spectateurs et les patrons de café, ce qui fortifiait leur travail qui s’épanouissait et attirait davantage de spectateurs entraînant par là-même la prospérité économique du café.
Les conteurs représentaient beaucoup pour les cafetiers. Ces derniers essayaient d’engager les meilleurs conteurs dans leurs cafés en leur offrant de gagner davantage. Leur réputation reposait sur leur façon de réciter et les clients savaient dans quels cafés se rendre pour écouter un bon conteur. Bien qu’ils connaissaient déjà l’histoire, ils revenaient pour apprécier une autre fois l’interprétation et la qualité du conteur. De la même manière, un café qui engageait un conteur de qualité acquérait lui aussi une bonne réputation. La spéculation était courante quand il s’agissait de persuader le conteur de travailler exclusivement au même endroit, mais cela pouvait aller parfois même jusqu’à la menace.
Le conteur cherchait avant tout à se distinguer des autres conteurs en essayant d’adopter un style original et captivant pour séduire les spectateurs. Par exemple, dans les années 20, parmi des conteurs célèbres, Taqi Eshqi, un morshed (maître du naqqâli) qui aimait beaucoup son travail et son public, présentait toujours des histoires inédites. Pour cela, afin de chercher toujours de nouveaux sujets, il se procurait page par page, par l’intermédiaire d’un ami, le livre de Borzu-nâmeh dont il n’existait qu’un seul exemplaire à la Bibliothèque Nationale et qui faisait d’ailleurs l’objet de soins particuliers ; il copiait les pages de ce livre et le rendait ensuite à la bibliothèque. Il resta 33 ans dans le même café et arrivait chaque fois à proposer des récits inédits et, comme le disaient d’autres naqqâl, ses récits avaient toujours des adeptes prêts à écouter de nouvelles paroles. Pendant la récitation, personne ne prononçait le moindre mot. Bien sûr les clients pouvaient quand même s’absenter de la salle et revenir, mais le silence était de rigueur. Pour la même raison, un client qui désirait du thé devait faire un signe de main au cafetier pour se faire comprendre.
Le café traditionnel à l’époque contemporaine
Aujourd’hui, afin de sauvegarder les anciennes traditions, plusieurs cafés ont été préservés dans lesquels on accueille la clientèle de la même manière qu’autrefois. De plus, il y a un certain nombre de demeures traditionnelles, de hammams et caravansérails qui se sont transformés en café traditionnel.
Aujourd’hui, les Iraniens se rendent au café pour consommer du thé et même plus récemment pour manger, alors que jadis, jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, ils y allaient pour boire, comme il se doit, du café. En effet, le thé est apparu tardivement en Iran, seulement il y a à peine un siècle. Les gens vont aussi au café pour écouter la musique traditionnelle et si c’est le cas écouter le Shâhnâmeh khâni (déclamation du Shâhnâmeh) ou assister au spectacle du naqqâli.
Notes
[1] Capitale de la province d’Azerbaïdjan au nord-ouest de l’Iran.
[2] Province située au nord de l’Iran au bord de la mer Caspienne.
[3] Qazvin est la capitale de la portant son nom, située à l’ouest de .
[4] Ville au centre de l’Iran et capitale du pays à l’époque safavide.
[5] Falsafi, Nasrollâh, « Darbâre-ye qahveh va qahveh-khâneh » [A propos du café et la maison de café], in Sokhan, n° 5, Téhéran, 1954, p. 261.
[6] Kalântari, Manoutchehr, « Naqâshân-e hemâseh sarâ » [Peintres représentant des épopées], in Honar va Mardom, n° 134, Téhéran, août 1973, p. 2.
[7] Falsafi, N., loc. cit. p. 263.
[8] Ibid., p. 262.
[9] Karam Dashti, Mohamad, Naqqâli va sokhanvâri dar qahveh-khâneh-hâ [Naqqâli et éloquence dans les cafés traditionnels], Californie, éd. Nashr-e Honar, 2004, p. 22.
[10] Falsafi, N., loc. cit. p. 262.
[11] Ibid., pp. 258-268.
[12] "Kahweh chane ist ein Krug/in welchem sich die Tabak smaucher und Kahweh Wassertrinker finden lassen. In solch einem Krügen finden sich auch Poeten und Historiker/welche ich mitten im Gemache auf hohen Stolen sitzen sehen/und allerhand Historien/Fabeln und Erdichtete Dinge erzählen hören. Im Erzählen phantasieren sie mit einem Stockklein/gleich die so aus der Taschen spielen." Olearius, Adam, Vermehrte Nuwe Beschreibung der Muscowitischen und Persischen Reyse, Schleswig, 1656. (réimp. Tübingen, éd. Max Niemeyer, 1971), p. 558.
[13] Ville au nord-ouest de l’Iran.
[14] Olearius, A., op. cit., p. 440.
[15] Noms de quelques cafés traditionnels à l’époque qâdjâre à Téhéran : Café de ’Abbâs Morqi au Bazar de Morqi-hâ, Café de ’Ali Lotfa’li à Darvâzeh Dulâb, Café de Nârvan dans la rue de Rey, Café de Habib Emâi’l آtashi près de Seid Esmâi’l, Café de Hâjj آghâ ’آli dans la rue Barq, Café de Shâter ’Ali dans la rue de Ebn-e Sinâ, Café de Mashhadi ’Ali dans la rue de Fakhr آbâd, Café de Darvâzeh Now près de la rue Takht-e pol, Café de Seid Esmâi’l au carrefour de Hasan Abâd, Café de Mohamad-Khân sur la place de Shâpur, Café de Abolhasan à Pâmenâr, Café de Aziz sur la place de Bahârestân, Café de ’Ali Ebrâhim au bazar de Saqqâ-bâshi dans la rue de ’Einoddoleh, Café de Hosein A’ali Longi dans la rue de Tcherâqbarq, Café de Mashhadi Taqi dans la rue de Bâgh-e pesteh, etc.
[16] Nasrâbâdi, Mahmad Tâher Mirzâ, Tadhkir-e Nasrâbâdi [Histoire de Nasrâbâdi], Ed. V. Dastgerdi, Téhéran, éd. Foruqi, 1939 (réimp., 1973), p. 43.
[17] Falsafi, N., loc. cit., p. 261.